Some Notes
in patchwork
For many time now, I'm looking for a kind of revelation within the images. The hope that through varioux experiments a space- a sort of holly land - should be given. .
«Land ! Land ! the look-out shouted before passing out»
John Bakwin, The Land of the Sokaho, 1876.
Aymeric Vergnon-d’Alançon. Le voile transparent des images.
Texte de Julien Verhaeghe
voir le site
Au cœur du travail d’Aymeric Vergnon-d’Alançon, il y a les images. Celles que l’on emporte avec soi, de peur de les perdre, ou celles que l’on se projette, car elles viennent d’ailleurs. Celles aussi qui puisent dans nos souvenirs ou celles que l’on découvre. Certaines d’entre elles ne disent rien ; d’autres sont volubiles et relatent des récits oubliés. Toutes cependant sont source de curiosité et d’étonnement, parfois d’émotion. Elles n’ont pas besoin d’être spectaculaires, il leur suffit de se peupler d’une indicible connexion avec celui qui les dévisage, à moins que ce ne soit une sorte de voilement, une vérité dissimulée que l’on aspire à surprendre. Le projet photographique Imago Pocket pose de façon exemplaire les lignes de fuite tracées par l’artiste. Trois photographies de ses proches, presque froissées, pliées en quatre, en huit, malmenées par les vicissitudes d’un voyage. Des images délabrées qui colmatent la mémoire, puis la volonté de préserver ces visages aimés. Elles semblent lutter contre un processus d’effacement aussi inévitable que regrettable. En effet, ces photographies jouent d’une ambivalence : elles documentent le réel que nous partageons tous, mais elles sont aussi la réalité que s’est appropriée leur auteur. Il ne les voit ni ne les ressent comme nous. Ces photographies ne se contentent pas d’informer. Plus que l’exactitude d’un trait, le contour d’une joue ou le reflet d’un sourire, elles imprègnent en adoubant un présent passé. Le dispositif plastique entre alors en jeu pour, à son tour, infuser ce qui reste une impression. L’image revêt donc une réciprocité, car elle est ce qui se construit et ce qui nous construit, en particulier à travers l’articulation méticuleuse de trois aspects : la capacité qu’a l’image à projeter – temporellement ou spatialement –, la possibilité qu’offre l’image de porter un récit – réel ou imaginaire –, et la nécessité pour toute image perçue, d’être travaillée par un esprit de découverte, parfois de révélation. Aymeric accompagne quelquefois ces différentes strates picturales de mots qui n’en disent pas beaucoup plus, des mots lancinants et descriptifs qui, à la manière d’un Chris Marker omniprésent chez l’artiste, teintent ses projets d’une poésie documentaire parfois sibylline. L’image projette, relate et révèle, comme dans Terra est fabula, évocation de la vie de Johan Pföner, astrophysicien des années 60 tombé dans l’oubli. Sur ces photographies, le ciel réfléchi sur quelques flaques d’eau nous rappelle à la vacuité des regards qui se perdent, aux théories hasardeuses élaborées par un homme qui scrutait les étoiles, à la dimension doucement envoutante des aspirations lointaines, alors que sont donnés à voir des sols défraichis par des promenades bucoliques. L’observation rejoint le récit, les imaginaires et l’imagination se stimulent. Qu’elle soit physique ou psychologique, l’idée de déplacement entre continuellement en scène, puisque l’image sollicite toujours un ailleurs. Nous retrouvons chacun de ces aspects dans Le Dernier voyage d’Alexis Kozlomov. Cette installation photographique relate la disparition d’un explorateur en quête de territoires inconnus. Pour voir ces très larges tirages panoramiques de paysages forestiers, des jumelles sont mises à la disposition du public, car sont discrètement insérés des éléments cartographiques relatifs au Kamtchatka, terre insoupçonnée, porteuse de secrets et d’imaginaires. L’image révèle, car elle dissimule. Le regardeur se heurte à une vérité ignorée, il lui faut aller à sa rencontre. En témoin cette récurrence à l’égard des outils d’observation : les jumelles, la loupe, mais peut-être aussi la carte, le GPS, et la diversité des médiums et techniques de diffusion de l’image. Dans d’autres travaux, un dispositif d’investigation est convoqué, à la manière d’une enquête policière dont le coupable ne serait autre qu’un récit oublié, récit qui narre un espace inaccessible. Pour autant, au milieu de ce travail de recherche, le doute, l’inexactitude et le hasard subsistent. L’image est à reconstituer, mais son essence repose aussi sur l’obscurité de ses conditions d’émergence. Peut-être est-ce parce que toute vérité est relative ? Ou bien est-ce parce que l’ailleurs signifie aussi l’inconnu, avec ce que cela suppose d’incongruités énigmatiques, voire inexplicables ? Dans un projet toujours en cours, l’artiste s’arrête sur le Surgün Photo Club, issu de la région parisienne et conduit par des immigrés venus de divers horizons. Ayant officié de 1970 à 2003, le club maintenant disparu s’emploie, par le biais de protocoles photographiques, à retrouver dans l’image une forme de transcendance divinatoire, en vue de suspendre l’exil. L’artiste alors renouvelle ces protocoles où interviennent une combinatoire mystique et parfois ludique, comme lorsque des Westerns sont visionnés puis interrompus à un instant très précis, pour que l’on puisse à l’aide d’une roue du destin, décider d’en extraire une chanceuse image. La voilà inattendue et nouvelle. Si elle se réfère à un ailleurs, c’est en vertu de forces mystérieuses qui les premières expliquèrent la nature de toute chose, à condition de passer par des rituels qui tiennent lieu d’épreuve, comme ces cartes postales, trempées dans du formol. Face à un ordre souterrain, l’image vit une seconde naissance. Elle se déshabille du voile transparent qui la recouvre, ce voile qui nous empêche d’y percevoir son infime justesse. Le sourire des gens que l’on aime n’est jamais trompeur, les paysages imaginés sont conformes à la réalité pourvu que l’on sache les regarder autrement, et, de surcroît, la vie de ceux qui eux-mêmes ont compris cela, méritent d’être racontée. Aymeric Vergnon-d’Alançon ne se satisfait pas de ces images qu’il nous transmet. L’artiste hérite du regard que d’autres autrefois ont porté avec ferveur sur des contrées inexplorées, sur des réalités ineffables, sur des croyances impénétrables, pour à son tour les communiquer. C’est ce qui fait de lui un voyant, mais surtout, un passeur d’images. class: gauche
Julien Verhaeghe
To see the invisible, we have to give up with reigning.
It's a work, a prospect or an impetus but it's not a maxim
Histoire/Géo
Under the sign of History and Geography, some works are willing to dig up the possibilities inside these dualities : Placés sous le signe de l’histoire et de la géographie, certains travaux essaient de creuser davantage les possibilités qui cohabitent dans ces dédoublements : history/geography, image/narrative, here/there.
"Outside" dwells the fiction I'm trying to reach
Jean-Christophe Bailly, Description d'Olonne
Written by Celine Piettre
With Aymeric Vergnon-d’Alançon, it always starts a little by chance.
At the bend of a road, or the turn of a page. Something forms in the distance, the contours of a story, the intuition of a narrative that will remain in any case in the vague, ghostly – a narrative with holes that needs to be filled. He began by making films after literary studies and
a session at the Fresnoy contemporary arts studio, now he works with small, lighter forms. He was jaded, he says of chasing after means for production – full length films are appropriately named. But the desire for narration never really left him.
Associated with the image, the text always lags behind in the corner. Nostalgia for screenplay synopses accompanies the various projects. His photos, his videos, his features carry on the memory of “characters”, crazy astrophysicists (Johan Pföner), explorers who disappeared on their journeys (Le Dernier Voyage d’Alexis Kozlomov), amateur photographs practicing divination by the image (Surgün photo club). Forgotten, anonymous figures, whose life deceptively imitates fable. Aymeric seems to be very much at ease in these zones of fictional realities, where the real and the fake resemble each other like two peas in a pod. Where stories (“inspired by real events”- as they say in the cinema – invite to groping steps, eyes blindfolded and camera slung over the shoulder. Taking stock is not his thing. Never mind if we trip up, the scenery will only be better. His most recent project in process, the Surgün photo club was born like that, from a blind journey. One day he was talking to a lodger at the residence for immigrants located in his neighbourhood, in Paris, and he learned of the existence of a club, active
from 1970 to 2003 whose members were all exiles. No common geographic origin, but the same interest in photography and its mystery. Aymeric was intrigued. He carried out an investigation, found one of the members whom he questioned. There, he was a detective, navigator without a map, looking for the symptoms of the land like you read your future in the entrails of an animal. There were few clues. One talks of a sect, of a “feeling of exile filled by the image” of the photo as dreamed elsewhere or crystal ball. The rest would have to be invented. Here
the truth is peripheral, the restitution not necessarily faithful – that’s good, the poetry craves gaps. The artist recreates (fantasizes?) the photographic work of the club. Floating images bathed in Formaldehyde, postcards in the process of metamorphosing in paraffin pupae, guidebook of divination by the western! We prowl at the margins of the image, visiting its confines, whether funny or melancholic, its beyond, on the lookout for the moment where “life withdraws from the screen” (cf. Fading Eden). The Surgün photo club would finally be this landscape with absent figures (to plagiarize Philippe Jaccottet), where we live in the intervals and the premonitions in search of its secrets. The status of the image comes out of it completely changed.
Toute forme est animée par un message magique (Kati Horna)
L’art (l’image) est un rite qui permet l’appropriation d’une puissance inaccessible et incompréhensible. Plus exactement le Surgün ne cherche pas à s’approprier ou à dominer les forces de la nature par des puissances magiques mais plutôt par un rapport magique et dynamique à participer à l’âme du monde. Participer : c’est à dire faire une expérience dynamique et féconde de l’âme du monde, principe mystique (le fondement du visible des choses, l’architecture invisible etc) .
Car c’est quand même çà la grande question : comment notre voyage de vie peut-il nous amener à rencontrer l’âme du monde et, finalement, à nous y dissoudre (de préférence dans l’extase) ?
Divination par l'image
La plupart des travaux du Sürgun Photo Club ont comme point commun un usage magique ou divinatoire de l’image. Il me semble que leur spécificité tient à ça, à cette volonté de se saisir de l’image non comme témoignage, non comme représentation esthétique ou fantasmagorie artistique mais comme un ensemble de forces plus ou moins secrètes qu’il faut mener à un certain degré de révélation pour obtenir en retour une forme d’illumination.
Quelques notes au sujet du Surgün Photo Club
Ici/Ailleurs
Les iconomancies renvoient directement à la divination par l’image. Les spatiophanies renvoient à un grand souci pour les membres du Club : l’apparition ou la manifestation des lieux à l’intérieur de l’image.
Tous les membres du Club provenaient d’un lieu plus ou moins lointain. Etranger.
J’utilise le mot exilés pour parler d’eux, préferant ce terme à celui d’immigrés. Bien sûr si certains étaient des exilés au sens politique, d’autres étaient des immigrés venues en France pour les conditions économiques.
Quoiqu’il en soit il y un imaginaire du déracinement qui, je crois, irrigue leurs travaux. Mais c’est imaginaire n’est pas lié à une quelconque nostalgie ou un sentiment de perte du lieu d’origine. D’ailleurs, il est remarquable que le club soit tissé d’une multiplicité de provenance. D’habitude, dans les foyers, se créent des associations par affinités linguistiques, confessionnelles ou culturelles : les disporas se regroupent naturellement. Dans le cas du Club, les membres (en tous cas ceux que j’ai pu identifié) se sont assemblés sans autre lien préalable que leur désir d’approcher la photographie. Ce fut sans doute une communauté de solitaires, une communauté de ceux qui n’ont pas de communauté.
Lointain Intérieur
les membres du Club se sont intéressés à l’idée de Terre Promise, pas vraiment dans un sens religieux mais davantage dans celui d’une utopie. Une sorte de terre natale proposée par l’image ou dans l’image, terre natale à chaque fois renouvelée et revivifiée, fut-ce sous forme de ruine ou de destruction. "Vois, je t'aurai donné, en la reprenant, Une terre natale, et il n'est rien d'autre." (Yves Bonnefoy)
Il y eut d’abord l’approche des images enfouies, des paysages intérieurs. Par une méthode qui m’échappe encore, Aboukaïev prétendait s’intéresser aux images mentales des immigrés ou des exilés autour de lui et leur permettre ainsi de convertir cette possible mélancolie en une nouvelle position existentielle.
Cette recherche du passé devenait celle d’un « lointain intérieur » (Michaux)
Pseudo-Didi
Ce qui est proche est infiniment lointain, ce qui est loin est infiniment proche. Nous flottons entre ces deux espaces et nous avons besoin de les garder ouvert l’un à l’autre.
La photo révèle donc ce qui dans le proche est aussi éloigné de moi qu’un lieu sacré et ce qui dans le lointain s’approche de moi jusqu’à mon intimité.
L’exil a aussi à voir avec la malédiction notamment celle de l’artiste dont pouvait, par exemple, parler à la Renaissance Marcile Ficin. L’artiste est maudit car coincé entre la réalité terrestre, le monde où il vit, le monde tel qu’il est et une réalité supérieure que l’artiste peut connaitre par sa nature « angelique » selon la terminologie de l’époque mais qui serait celle d’une réalité spirituelle, celle d’un monde parallèle dont l’artiste pourrait témoigner ou rendre compte.
Sincérité
Ce qui m’intéresse ici c’est donc de saisir ce qui pourrait relever d’une forme spécifique, d’un rapport à l’image renouvelé. Je veux dire ici l’authenticité, la sincérité d’une démarche vis à vis de l’image qui procède d’une démarche existentielle. Pour le groupe les travaux ne signifiaient pas création d’oeuvres d’art ou recherches plastiques mais bel et bien quête personnelle, recherche existentielle etc…Evidemment la forme est peut-être passée par la moulinette de ma réactivation artistique. Pas sûr, pour le dire autrement, que les travaux réels et historiques ont, avaient, la même facture. Un doute (une distance) existe donc en effet sur la teneur réelle de ces travaux.
Raconter des salades
« Fabriquer de l'histoire est l’équivalent athée d’une prière » dit Paul Veyne et dans son entretien avec Hans Ulrich Obrist il précise que c’est un effort car il faut « essayer de se purifier de ses préjugés et de se dépersonnaliser »
« De même que lorsque l’on fait une prière, on se dépersonnalise et on se perd dans l’immensité de dieu, de même quand on est devant sa table de travail en essayant de dire quelque chose, on essaie de n’être plus soi-même, mais de se fondre dans ce que l’on raconte, en essayant de dire vrai »
«Que tu aies une image — et c'est si rare —, fais tout pour la conserver, la sauvegarder ; ce sera, c'est le travail d'une vie »
Peter Handke, Hier en Chemin, p340, Verdier, 2011
Ensuite bien sûr, il ne faut pas s'attarder à l'ornière des résultats, ne pas considérer sa "carrière", sa minuscule position, comme un frein, un handicap, une gêne. Il faut continuer à travailler. C'est-à-dire à vivre dans la dure simplicité de son ambition.